Sebastian HAFFNER, Histoire d’un Allemand
Ce livre est de ceux qui vous prennent en otage dès les premières pages et qui par la suite ne vous lâchent plus.
Son auteur : un jeune magistrat stagiaire, plutôt conservateur, cultivé, sans engagement politique particulier, qui s’exile en Grande-Bretagne en 1938, tant il juge irrespirable l’atmosphère politique et culturelle nationale socialiste. Il est alors âgé de trente et un ans.
Depuis son exil britannique et dès avant la déclaration de guerre, il « veut simplement raconter et non prêcher. » Raconter la montée en puissance méthodique de la terreur nazie, la part de naïveté des uns, de lâcheté des autres. Raconter les amitiés entre étudiants qui soudain se lézardent, la mise à l’écart progressive du camarade dont on savait à peine, avant, qu’il était juif. Raconter « comment un peuple peut sombrer dans l’infamie ».
Une scène que je relis souvent se déroule en mars 1933 au Palais de Justice de Berlin. Les juges et avocats juifs sont encore en exercice. Haffner travaille à la bibliothèque du Palais : ambiance feutrée, plaisir du juriste, entouré de gros volumes de jurisprudence, à affiner le raisonnement juridique d’un jugement civil. Car officiellement l’Etat de droit est toujours en vigueur. Puis le silence est rompu par des cris rauques, des hurlements provenant du couloir. Quelqu’un dit : « Les S.A. Ils jettent les Juifs dehors. » Haffner poursuit : « Quelqu’un se mit à rire. Ce rire fut sur l’instant plus effrayant que la chose elle-même : dans un éclair on comprenait que dans cette pièce, comme c’était étrange, il y avait des nazis. »
Les SA envahissent alors la bibliothèque. L’un d’eux se plante devant lui : « Etes-vous aryen ? » Haffner répond par l’affirmative. « Le sang me monta aux joues. Un instant trop tard, je ressentis ma honte, ma défaite… »
Haffner retourne en Allemagne en 1954 où il devient un journaliste et historien de renom. C’est à son décès, en 1999, que ses enfants trouveront au fond d’un tiroir un manuscrit dont leur père n’avait jamais parlé. Publié un an plus tard sous le titre Geschischte eines Deutschen , il connaîtra, dès sa publication en Allemagne, un immense succès. Je l’ai dévoré en français puis relu en allemand.
Il ne me reste qu’à lancer à mon tour l’injonction de l’amie qui m’a fait découvrir Haffner : ce livre, il faut l’avoir lu !